Chaque matin depuis semaines que je suis ici, je la vois aller s’asseoir pendant une heure ou deux. Moi c’est normal d’y être tous les jours, je suis venu dans ce bourg pour profiter de l’étendue bleue. Mais elle?
Au début elle ne m’intéressait pas plus que ça. une vielle dame …
Et puis, elle venait à la même heure, était d’une ponctualité déconcertante, restait assise à même le sable. Son foulard soigneusement noué, le regard perdu dans le vide, c’était un rituel ma foi.
Impressionné par cette femme, plus rien ne me préoccupait que de savoir ce à quoi elle songeait. Je me mis donc à lui adresser des salutations furtives dans la langue locale, histoire de me familiariser à elle. Elle y répondait distraitement puis reportait son attention sur le Grand Bleu.
–Maman, dis-je un jour tu dois vraiment aimer l’eau pour y être tout le temps, moi en France ça me manque.
J’avais dit ce qu’il fallait on dirait, enfin de l’intérêt de sa part.
–Mon fils tu connais la ”France”?
–Bien sur maman j’y vis
Je lui expliquais alors comment était paris, ses rues, l’hiver le froid, l’Été, les gens, la nourriture.
Les yeux pétillants, elle me dit que ses fils avaient pris la Mer pour la France. Ils avaient beaucoup travaillé et économisé et un matin très tôt ils étaient allés avec des amis du quartier. Il y avait ce passeur qui les attendait pour la traversée. Elle a beaucoup pleuré pour les en empêcher, mais ils lui ont affirmé qu’une fois là-bas sa vie serait meilleure. Drissa n’avait-il pas envoyé de l’argent à la tante Astou pour la construction de leur maison? et Bintou n’était-elle pas devenue une grande dame là-bas chez les blancs? Ils avaient tous pris la mer et aujourd’hui leurs parents en étaient fiers.
Mais depuis deux mois qu’ils sont partis elle n’avait pas reçu de leurs nouvelles. Ses enfants lui manquaient et chaque matin, elle venait prier ici et leur parler. Ses pieuses pensées étaient une bouteille à la mer, dont elle attendait le retour indéfiniment
Des frissons me parcoururent, je voyais chaque jour sur les réseaux sociaux comment la mer avalaient les enfants de l’Afrique. Moi qui était en France je voyais comment ils étaient traités, malmenés et humiliés. Que de risques encourus pour atteindre l’Eldorado. Des embarcations de fortune, le périple de l’eau salée puis celui du désert. La désillusion du pays en était la cause. Il fallait vraiment manquer d’espoir ou être nourri de fausses illusions pour prendre de tels risques. L’Afrique perd ses enfants parcequ’elle n’a plus rien à leur offrir. J’en étais la preuve n’étais-je pas allé pour des études et n’avais-je pas refusé de rentrer??
Les garçons de cette dame étaient surement morts noyés ou avaient péri dans le désert de milles souffrances.
Mais je ne pouvais éteindre cette lueur d’espoir dans ses yeux, je sentais que c’est ce qui la maintenait encore en vie.
–oui maman ils reviendront. Dis-je tout doucement
–je sais mon fils…
Puis nous restâmes là à fixer le grand Océan, moi imaginant ce qu’ont pu vivre ses deux hommes et elles espérant de tout cœur recevoir de leurs nouvelles. Peut-être au travers d’une bouteille lancée à la mer.