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meches

Nous sommes en décembre, et c’est la “période des fêtes”, comme on le dit chez nous à Abidjan. Les “habits de fête” et “les cheveux de fête” sont de mise. Et en Côte d’ivoire, les ivoiriennes à l’instar de beaucoup d’africaines, (d’afro américaines )du continent et de la diaspora aiment les cheveux. Mais, elles préfèrent pour la plupart ceux d’autres origines. Brésiliennes, péruviennes, cambodgiennes, malaysiennes, indiennes, elles savent en reconnaitre les différents types et surtout les grades. Ces extensions proviennent en majeure partie de l’Inde et de la Chine et mais aussi du Brésil, et de plusieurs autres pays d’Amérique latine et même d’Europe de l’Est. C’est une industrie extraordinaire et qui a fait la fortune des magnats du secteur. Raides, bouclées, courtes, longues et colorées les extensions embellissent des femmes qui sont prêtes à payer toujours plus cher. C’est une industrie lucrative qui pèse aujourd’hui plusieurs centaines de milliards de Francs. Si la plupart de ceux qui tiennent ce business juteux montrent que les extensions proviennent de dons ou de ventes légales de leurs cheveux par les femmes, une réalité est occultée. Celle de tout un trafic illégal et la violence derrière le business du cheveu.

Business, Argent, Beauté…

Les mèches et perruques et autres accessoire capillaires datent de plusieurs siècles, en effet, les extensions de cheveux ou les pièces de cheveux ont été utilisées par les Égyptiens depuis l’Antiquité, en particulier dans l’Égypte ancienne. Cette époque historique a également vu l’invention de la méthode du tissage. Cette pratique est arrivée jusqu’à nous et c’est une industrie très florissante. Auparavant, les extensions étaient de type synthétique ou fabriquées avec du caoutchouc. Aujourd’hui, le marché africain d’extension de cheveux (humains) est estimé à 619 milliards de dollars, (soit 383 072 289 268 468 de francs cfa). Une activité lucrative au vue de la demande de plus en plus grandissante et surtout de l’accessibilité au marché asiatique. Car il faut le préciser, l’Asie est le principal fournissseur des extensions de ce type.

De nombreux et nombreuses entrepreneur.es ou salons de beauté ont fait fortune quand a débuté la ruée vers le cheveux. Le marché principal concerne les femmes noires, afro ou métissées. Les stars les plus célèbres, les médias, les icônes de mode ont favorisé cette tendance en faisant rêver une génération entière de femmes. Abidjan, Lagos, Kinshasa, Bamako, Ouaga, Dakar… les grandes capitales ouest-Africaines sont innondées de cheveux de tous genres. Les africaines sont coquettes et leurs coiffures le prouvent.

En Côte d’Ivoire, les prix sont vertigineux souvent en moyenne jusqu’à 500 ou 600 mille francs Cfa pour à peu près 300 à 400g de cheveux. C’est un marché qui semble ne connaitre aucune crise. Et avoir une meilleure qualité d’extension témoigne d’une aisance financière. Les extensions humaines sont présentes partout, c’est une demande qui va encore et encore s’accroitre ces prochaines années.

© Jeune Afrique

À quel humains prend on tous ces cheveux?

A Madagascar, le vol des cheveux constitue une grande menace pour les femmes.

La réponse la plus répandue à la question de la provenance des extensions est celle des dons que font les femmes indiennes dans les temples ou aussi la vente volontaire donc profitable des donneuses. Le temple Tirupati situé dans la ville d’Andhra Pradesh au Sud de l’Inde, est le premier fournisseur mondial. À priori rien de bien anormal.

Rallonges capillaires – À un cheveu de l'éthique
Femme se faisant raser la tête

Cependant, nous avons aussi été à Antananarivo (Tana), la capitale de Madagascar où nous avons d’autres informations. Les femmes de cette villes ont pour la plupart des cheveux qui ressemblent à ceux qui sont commercialisés dans d’autres parties du monde. Les Malgaches sont en effet les descendants d’un mélange entre des Africains et des Asiatiques. Curieux de savoir si les femmes étaient aussi des donneuses comme c’est le cas en Inde ou ailleurs, nous avons posé la question de savoir si c’était possible de se procurer des extensions de ce type sur place. Si en effet il y a aussi un business moindre et méconnu du cheveux dans cette partie du monde, une réalité moins glamour s’y cache.

Les femmes à Tana sont victimes de sévices pour leurs cheveux. Elles sont victimes de coupe forcée de leurs cheveux, d’enlèvement. Selon notre source, certains hommes vont jusqu’à séduire les filles pour leur couper les cheveux dans l’intimité. Les cheveux malgaches semblent être de “meilleure qualité que ceux provenant de l’étranger”. D’où la recrudescence des vols dans la capitale. Les voleurs ciblent principalement les écoles, les marchés. L’on dénombre au nombre des victimes des élèves et des adolescentes. C’est l’information que nous avons eue sur place. La Gendarmerie appelle à la vigilance de tous, et rappelle que le vol de cheveux constitue une violence et est ainsi sanctionné conformément à la loi. La Gendarmerie entreprend des patrouilles au niveau des zones populaires notamment les marchés et les alentours des établissements scolaires.

Sur les réseaux sociaux, les victimes témoignent :

« Je faisais mes courses à Analakely le 27 mai dernier, quand une femme de taille moyenne m’a prise par mes deux oreilles. Surprise, je me suis immédiatement retournée et je l’ai vue avec un ciseau à la main. Mon premier réflexe c’était de la gifler, quoi qu’elle ne m’ait pas épargnée. En fait, j’avais des brûlures sur mes oreilles à cause d’un genre de colle que ses mains ont laissé. J’étais également très étourdie », témoigne Hary T., une jeune femme ayant de longs cheveux. « En voyant mon état, un homme de passage m’a accompagnée jusqu’à l’arrêt bus, dans lequel j’ai pu reprendre mon esprit », ajoute la victime.

Avec la crise actuelle,” les voleurs n’hésitent plus à couper les cheveux longs dans les rues. C’est de l’argent facile puisque bon nombre de salons de coiffure les achètent en proposant des prix alléchants »,se désole Fy R., mère de famille qui a été témoin d’un cas similaire devant sa maison.

Pour sa part, une autre jeune fille a récemment pu s’échapper aux voleurs de cheveux longs. « Je marchais à pied pour rentrer chez moi quand une femme m’a abordée dans la rue, me demandant si mes cheveux sont à vendre. Après mon premier refus, elle a insisté en proposant un prix de près d’un million d’ariary (environ 140 milles francs cfa). J’ai continué ma route sans y faire attention. Mais en me retournant, j’ai remarqué qu’elle m’a suivi avec 4 hommes. Il a fallu que j’entre dans un magasin de friperie pour me cacher afin de leur échapper. En racontant ce qui s’est passé à la vendeuse, elle m’a confirmé qu’une jeune fille a également été victime la veille », relate Fy A.

Notre contact sur place a aussi confirmé ces témoignages, ‘‘C’est particulièrement en ville que l’on rencontre cela…Il y a eu des moments ou on mettait des casquettes ou autres pour cacher les cheveux”; “c’est un business /trafic au delà de nos frontières”. Les victimes de ces actes encourent de grands dangers pour leurs vies et leurs santé ainsi que de grands traumatismes.

Ailleurs aussi… une mafia des cheveux

Selon le Journal le Monde en Inde, des femmes et des enfants seraient forcés à vendre leurs cheveux, et des gangs s’empareraient même de ce trafic, rapportait en 2006 un autre article du Guardian. En Russie, le Centre de Moscou pour la réforme des prisons a estimé que des gardiens avaient pu raser de force et vendre les cheveux de prisonniers. Certaines femmes appelées des donneuses sont exploitées dans ce commerce en vendant leurs cheveux à cause de leur extrême pauvreté. C’est le noeud de l’exploitation. Si l’on considère le prix exorbitant des bottes de cheveux humains, les femmes qui les vendent sont elles payées proportionnellement.

Une véritable mafia des cheveux– selon l’expression empruntée à la gazette des femmes – a émergé en Europe de l’Est. En 2006, en Russie, un collecteur de la compagnie ukrainienne Raw Virgin Hair, spécialisée dans les cheveux européens naturellement blonds, s’est fait abattre par balle par un concurrent. Une compétition féroce s’est installée entre les collecteurs de nattes blondes qui, achetées à des femmes pour moins de 100 dollars (environ 63000fcfa), seront revendues plus de 2 000 dollars (environ 1.237.035 fca).

La loi de l’offre et de la demande fait son œuvre : certains n’hésitent pas à recourir à des stratagèmes douteux, voire illégaux, pour se procurer la lucrative matière première. Au Brésil, la police a rapporté de nombreuses « attaques de cheveux » commises par des collecteurs surnommés « chasseurs de scalps ». En Russie, plusieurs sociétés ont été accusées d’avoir forcé des prisonnières et des patientes d’hôpitaux psychiatriques à se faire raser les cheveux afin de les revendre à gros prix. Rebecca Hair Products a même été accusée d’utiliser les prisonnières russes comme main-d’œuvre en les astreignant à la fabrication forcée de rallonges.

Nous comprenons que la vente de cheveux est rentrée dans les habitudes des femmes et constituent pour celles qui en vivent un moyen d’autonomisation. Cependant il faut pouvoir s’assurer que nos extensions ne sont pas issues de ce trafic illicite et de la souffrance d’autres femmes.

Tags : activismefeminismeSociété
Carelle Laetitia

The author Carelle Laetitia

Diplômée de Droit Public International, Carelle Laetitia Goli est une jeune femme ivoirienne qui croit fortement en l’idéal d’un monde de justice et de libertés