Migrantes (c) Photo Challenges
Quête d’un mieux-être, influence des réseaux sociaux, violences… autant de raisons qui les poussent à partir
Tout d’abord une migration de travail
On l’aura compris par les témoignages d’Emma et des autres femmes rencontrées que le premier motif du départ est la recherche d’un mieux-être. En effet, l’on ne peut exclure le fait que les conditions de vie parfois très difficiles des femmes les poussent à partir vers ce qui serait considéré comme l’Eldorado. Il s’agit en ce qui concerne les Ivoiriennes d’une migration qui est plus orientée vers le travail. C’est ce qui ressort de l’étude de l’OIM qui retrace le parcours des migrantes de retour, 95% des femmes migrantes de retour interviewées étaient parties pour des raisons économiques avec pour objectif principal de trouver un emploi plus décent. Cette motivation est encore plus forte quand la femme a seule un enfant à charge et une famille. 75% des femmes retournées avaient au moins un enfant à charge avant leur départ. Oumou Sacko, une migrante de retour, a confié qu’elle restait, avec sa sœur, l’espoir de sortir de la misère de son père. La plupart des femmes que nous avons interrogées partaient à l’aventure pour avoir de l’argent et rentrer si possible après avoir obtenu gain de cause.
Fuir les violences… À la recherche de plus de droits…
Ce qui rend d’ailleurs la migration féminine différente de celle des hommes est que pour la majorité d’entre elles, il s’agit plus d’une stratégie de survie profondément personnelle plutôt que d’un acte de réalisation social, observe l’OIM. En effet, la précarisation à laquelle a dû faire face une bonne frange de la société et la condition féminine perçue comme meilleure ailleurs sont des facteurs déterminants dans la décision de voyager. Les femmes qui partent recherchent l’autonomie, une amélioration de leurs conditions de femme. Le lien entre l’émancipation féminine – plus acceptée dans un contexte occidental – et la migration est net. Cette thèse est corroborée par Dr Lally Kouadio, anthropologue des migrations. Il assure que ces femmes sont mues par “le désir de rechercher plus de droits, où on ne court pas le risque d’être humiliée. L’Occident, c’est le lieu où il existe la liberté d’expression, où il n’existe pas le poids social de la prédominance de l’homme sur la femme”. D’ailleurs, les femmes qui réussissent cette épreuve et qui reviennent sont considérées dans leurs communautés parfois au même titre que les hommes, sinon mieux que les hommes qui sont restés. Un fait, qui comme un cercle vicieux, entraîne d’autres femmes ou filles à tenter l’expérience.
Les violences faites aux femmes sont à considérer dans le schéma migratoire féminin. Dans un pays comme la Côte d’Ivoire, où ces violences sont de plus en plus récurrentes, les femmes qui tentent d’y échapper le font parfois au péril de leurs vies. Elles fuient les mariages forcés, les excisions, les coups… Rien qu’en 2020, l’ONG Citoyennes pour la promotion des enfants femmes et minorités (CPDEFM) a recensé 1 290 cas de mariage de filles de moins de 18 ans et 1 121 viols. En Europe, dit-on, “la femme a des droits”. Cette raison a d’ailleurs été évoquée par l’un des avis que nous avons recueilli lors de notre sondage lorsque nous avons posé la question de savoir ce qui pourrait pousser les femmes à migrer illégalement.
Mais aussi les réseaux sociaux et les pseudo-réussites
Les réseaux sociaux et leur prisme déformant de la réalité jouent aussi un rôle important dans le choix que font tant les femmes que les hommes de partir à l’aventure. Les réussites parfois virtuelles que présentent certaines sont des catalyseurs de ces départs clandestins. Pour Mariam, 26 ans, ménagère et identifiée comme potentielle migrante à Daloa, ”l’influence des migrantes qui ont réussi à se faire une place en Europe incitent beaucoup les jeunes filles à partir”. Et les départs se font plus nombreux après les fêtes religieuses où ces personnes quand elles reviennent au pays peuvent faire face à d’énormes dépenses. Naissent au sein de la communauté des frustrations, des comparaisons qui déclenchent l’envie de partir.
Ces réseaux sociaux sont les appâts des plus jeunes qui sont constamment connectés. Mawa Doumbia, la quarantaine, commerçante, a découvert avec effarement que sa fille d’à peine 17 ans en classe de 3e avait emprunté en cachette la route de la Libye avec d’autres jeunes de son âge, dont sa cousine. Sa fille Mariam lui a volé l’argent de la tontine qu’elle gardait. L’objectif reste le même : réussir en Europe, fuir la misère et le quotidien.
”Un matin, elle a pris l’argent de la tontine que j’ai gardé et s’en est allée en faisant croire qu’elle partait chez sa camarade (…) Il paraît qu’elle est en Libye . Mais elle n’a pas encore pu traverser. Ce n’est pas facile. Je lui dis de revenir mais elle refuse, c’est cela le problème. Je demande à Dieu qu’elle ne meurt pas”
Mawa Doumbia, mère de Migrante
Des conditions de voyage plus difficiles quand on est une femme
Les femmes paient un tribut plus lourd que les hommes sur la route migratoire et leur mortalité est plus élevée. En effet, les obstacles et les dangers induits par les migrations sont souvent différents pour les femmes, qui se heurtent à des sources d’insécurité supplémentaires en raison des inégalités auxquelles elles sont soumises en tant que femme dans leur situation économique, sociale et politique.
ABUS ET TRAUMATISMES PSYCHO-SOCIAUX, le double niveau de vulnérabilité des femmes migrantes
Les femmes ivoiriennes ont été surexposées à la violence physique et psychologique que ce soit sur leur lieu de travail, sur la route ou en détention. Les abus vécus ont pu prendre plusieurs formes incluant le travail non rémunéré, les violences sexuelles, le racisme, la prostitution ou la vente d’êtres humains. Aux dires de Sarah, qui a vécu l’expérience de travail au Koweït, son voyage a pris la forme de l’esclavage moderne. Elle n’avait ni droit, ni repos, ni titre de séjour, celui-ci ayant été confisqué dès son arrivée par la famille qui l’avait ”achetée”. ‘‘Le ménage c’est de 06h du matin à 02 h sans arrêt, on manquait même d’être violée parfois’’ nous raconte-t-elle. Ces femmes reviennent traumatisées et en mauvaise forme physique pour la grande majorité.
Selon un rapport réalisé pour la Division des Nations Unies pour la promotion des femmes, les migrantes sont tout particulièrement exposées aux privations, aux agressions et à la discrimination, discrimination due à la fois à leur situation de migrantes et à leur condition de femmes. Les filles et les jeunes femmes sont particulièrement exposées à toutes sortes de violence et d’abus au cours du voyage. En tant que femmes, elles doivent faire face à la précarité menstruelle, mais aussi aux cas de grossesses durant le voyage.
Parmi les responsables de ces violences, on compte les proches, les employeurs et, dans certains cas, des personnes jusqu’à lors inconnues de ces femmes. Malheureusement, la spécificité des femmes n’est pas suffisamment mise en lumière. Une étude de l’OIM Côte d’Ivoire sur le trafic illicite de migrants et la traite de personnes montre que près de 30% des femmes ont été victimes de traite dès leur départ de Côte d’Ivoire. De plus, dans plus de 50% des cas, femmes et hommes interviewés ont travaillé à un moment de leur parcours sans être rémunérés, 41% des femmes (contre 17% des hommes) ont déclaré que le salaire perçu au cours de la migration avait été versé à un intermédiaire.
Revenir, mais à quel prix? La difficile réintégration des migrantes ivoiriennes
Endettées, stigmatisées et traumatisées
Pour les femmes qui décident de faire le choix du retour, la décision n’est pas sans conséquences. La motivation de départ est érodée par les conditions de vie difficiles sur le terrain. Si certaines cherchent coûte que coûte à terminer la périlleuse aventure, d’autres par contre décident de revenir pour affronter la dure réalité qui les attend. Cette réalité est celle de la stigmatisation dont elles sont victimes, les attentes des proches qui ont parfois contribué financièrement au voyage et l’endettement. Lorsque l’on compare aux hommes, les migrantes de retour enquêtées ont ainsi contracté plus de crédits. Les chiffres de l’OIM sont alarmants. Les migrantes ivoiriennes de retour (61%) ont contracté un nombre plus important de crédits liés au projet migratoire avant leur départ et les sommes empruntées sont plus conséquentes. Cela se justifie par le mode de transport emprunté par les différents sexes.
30% des femmes migrantes de retour qui ont contracté au moins une dette affirment n’avoir aucun revenu contre 14% des hommes dans la même situation. Bien sûr, il en découle une vulnérabilité plus grande chez les femmes face à la rétribution. Les femmes s’endettent tant auprès de leurs familles que des passeurs. Ces dettes qui sont contractées aussi bien au départ que pendant le voyage, donnent lieu à des violences sur les femmes. 52% des femmes interviewées victimes d’abus, qui ont contracté un crédit lié à la migration, ont dû travailler de façon non rémunérée ou ont vu leurs papiers confisqués, que ce soit dans un pays de transit ou dans le pays de destination.
Les retournées sont traumatisées tant physiquement que psychologiquement par les abus subis. Un traumatisme exacerbé par un sentiment de honte dans la communauté. Ce fut le cas d’Oumou Sakho, 25 ans, migrante retournée. Elle nous fait part de son expérience en ces termes: ”J’étais mal perçu par mes amis pour qui j’aurais pu me prostituer pour continuer le voyage. Sur place j’ai rencontré l’ONG AVSI, qui m’a intégrée au projet KAFISSA. Je leur ai fait part de mon désir de faire l’élevage. Après m’avoir formée, ils ont apporté un financement en nature dans la fourniture de tout le nécessaire pour la mise en place de mon business d’élevage de poulets’’.Les femmes migrantes retournées peinent également à retrouver du travail. Cela dégrade encore plus un statut social déjà très précaire et peut pousser certaines à repartir.
Nous avons reçu deux femmes atteintes de cancer du col de l’utérus à leur retour que nous avons essayé de les aider par tous les moyens avec nos partenaires dans le golf
Hervé N’Dri, président ONG LISAD
Ce qui devait être une expérience de l’amélioration de leurs conditions de vie et de celles de leurs familles s’est transformé en facteur de fragilisation et de précarité. Cela l’est encore plus pour celles qui ont eu des grossesses et/ou des maladies à l’issue de viols dont elles ont fait l’objet au cours du voyage ou avant.
L’appui au retour encore faible pour les femmes ivoiriennes
Le Gouvernement de Côte d’Ivoire et l’Organisation Internationale pour les Migrations (OIM), avec l’appui de l’Union européenne, mettent en œuvre depuis 2017 l’Initiative conjointe UE–OIM pour la protection et la réintégration des migrants en Côte d’Ivoire. À travers cette initiative, l’OIM Côte d’Ivoire fournit aux migrants ivoiriens qui reviennent une aide au retour volontaire et une aide à la réintégration.
La majorité des migrants assistés dans leur retour volontaire en Côte d’Ivoire sont des hommes. Cependant, la proportion de femmes (21%) reste nettement plus élevée que dans l’ensemble des pays de la sous-région. A titre d’exemple, la part des femmes sur l’ensemble des retours assistés dans le cadre de l’Initiative conjointe FFUE-OIM est de 4% au Burkina Faso, 5% au Mali et en Guinée ou encore 10% au Niger.
Les chiffres de la réintégration de l’ONG AVSI, une ONG italienne présente en Côte d’ivoire depuis 2008 qui s’occupe de la réinsertion des migrants et migrantes, montrent que les femmes migrantes réintégrées sont inférieures aux hommes. Cela peut s’expliquer par les stéréotypes dont elles sont l’objet. Sur 100 bénéficiaires des programmes de réintégration, 10 sont des femmes. Le projet dénommé ‘’Kafissa’’ à Daloa a permis à Oumou Sacko, migrante retournée, de s’investir dans l’élevage dans sa région. Elle qui a vu repartir son amie. Aujourd’hui, elle est propriétaire d’une ferme avicole et envisage son extension.
Les femmes parlent moins de leur retour dans les communautés, et ne sont souvent pas au fait de l’information. «Dans les représentations sociales et familiales traditionnelles, la migration est avant tout considérée comme un acte essentiellement masculin»(Comoé E 2006, relations de genre et migration en Côte d’Ivoire). D’ailleurs, elles finissent souvent par repartir faute d’alternatives.
Lavinia Prati, chargée de projet à OIM, explique comment sont réinsérées les personnes retournées. L’OIM met en place tout un système qui prend en compte le profilage, un accompagnement matérialisé par l’assistance médicale, psychosociale et économique.
En matière d’activités génératrices de revenus, les bénéficiaires des programmes de réinsertion bénéficient de conseils, d’informations sur les projets les plus viables, afin de rentabiliser l’activité choisie. L’OIM essaie de donner tous les outils aux bénéficiaires pour qu’ils soient autonomes dans le futur.Un suivi se fait en fonction de chaque projet, sur une année ou sur une période plus courte. Depuis mai 2017, il y en a 6000 qui ont déjà terminé leur première phase d’assistance et plus de 3000 qui ont finalisé leur processus de réintégration. Les autres sont en cours. Les métiers dits féminins du type cosmétique, coiffure, commerce sont plus ceux qui sont proposés aux femmes.
Encore aujourd’hui, on déplore le manque d’assistance et de réparation psychologique dans la plupart des programmes de réinsertion des migrantes autres que ceux de l’OIM. C’est pourtant un soutien indispensable quant à toutes les épreuves qu’elles ont subies.
ENCADRÉ
La migration, en tant que droit humain, s’est transformée en un véritable périple eu égard à un contexte de mondialisation encore étriqué. Par ailleurs, l’instabilité de nos Etats, la récurrence des crises politico-sociales ont favorisé le départ de notre jeunesse et le sentiment d’un Eldorado européen renforcé avec l’arrivée des réseaux sociaux. Ce phénomène longtemps considéré comme purement masculin à cause des rôles de genre s’est progressivement féminisé notamment en Côte d’Ivoire où, on l’a démontré, les femmes aussi partent “se chercher”.
Malheureusement, cette faible prise en compte du genre dans les enquêtes, les réinsertions et même dans la médiatisation du phénomène rend les migrantes encore plus vulnérables. En outre, le constat est que lors des campagnes axées sur les violences faites aux femmes, notamment les 16 jours d’activisme contre les violences, les situations qu’elles subissent sont très rarement abordées par les OSC locales. Que ce soit dans le pays d’origine, de transit ou de destination, les migrantes ivoiriennes sont perpétuellement en danger. Leur spécificité de femme et de catégorie vulnérable est ignorée. Aujourd’hui, plus que jamais ces femmes ont besoin d’appui. En effet, Le HCR retire la Côte d’Ivoire des pays à risque et recommande que ses ressortissants ne bénéficient plus de l’asile à partir de juin 2022. Ce qui a notre sens va accentuer la vulnérabilité des femmes ivoiriennes. Par conséquent, nous faisons les recommandations suivantes :
- Renforcer les canaux d’information sur les dangers de la migration irrégulière et les diffuser de manière plus large afin de toucher les migrants potentiels, les migrants en cours de voyage et les candidats au retour ;
- Organiser des campagnes d’informations sur les voies alternatives de migration légale ;
- Renforcer les mécanismes de collecte d’informations auprès des migrants de retour, afin de permettre un meilleur suivi ;
- Identifier des réseaux de traite actifs et des systèmes d’exploitation existant afin d’assurer une meilleure protection des migrants de retour soumis au travail forcé et aux mises sous contrats afin de rembourser leurs dettes ;
- Travailler sur l’axe de la migration féminine;
- Inclure effectivement les violences faites aux migrantes dans la lutte contre les violences faites aux femmes par les organisations qui travaillent sur le sujet
- Intégrer les migrants de retour dans le processus de réintégration, de sensibilisation;
- Travailler avec la Police de lutte contre la cybercriminalité pour démonter les réseaux qui officient via les réseaux sociaux;
- Travailler à la réparation psycho-judiciaire des victimes de la migration
- Travailler avec les communautés et les familles en vue de déconstruire les préjugés envers les femmes migrantes;
- Ratifier – par les Etats – la convention internationale sur la protection de tous les travailleurs migrants et des membres de leurs familles du 18 décembre 1990.
Retrouvez la première partie de cet article ici.
Enquête réalisée par : Carelle Goli, Charline Tiahi et Marthe Akissi de RTI info. Une Initiative soutenue par Medialab Pour Elles, un projet CFI-Agence française de développement médias, avec le soutien de Anderson Diedri et Satou Kané.