Les grossesses en milieu scolaire, une thématique devenue fréquente en Côte d’Ivoire tant et si bien que le décompte s’effectue années après années. 3 588 grossesses répertoriées dans le système éducatif ivoirien de septembre 2022 à avril 2023. Des chiffres vertigineux qui ont été révélés au grand public par les autorités.Plus de 3000 filles dont la grande majorité sont des adolescentes, parfois de très jeunes filles. Mais, combien d’entre elles deviendront vraiment mères ? Sommes-nous tentées de se le demander.
C’est une question qui semble impromptue ou malaisante et pourtant nous osons la poser à juste titre. Toutes ces grossesses ne seront pas menées à leurs termes. C’est une affirmation que nous pouvons formuler. Et non, ce ne sont pas des affirmations injustifiées. Plusieurs raisons sous-tendent notre raisonnement, dont la plus solide est l’interruption volontaire de la part des porteuses de ces grossesses. En Côte d’Ivoire, l’avortement est plus illégal que clandestin. Il est très aisé de trouver des décoctions, des médicaments ou même des cliniques qui exercent cette fonction dans chaque quartier ou ville. C’est un sujet autour duquel règne un tabou teinté d’une hypocrisie extraordinaire. Les femmes ivoiriennes sont face à cette pratique parfois depuis l’adolescence. Certaines se voient encouragées ou forcées par les familles, les amis… Ces mêmes personnes qui à cause de la religion – parfois – acculent ouvertement celles qui en parlent et les culpabilisent.
Les femmes et les filles sont aussi obligées de se cacher du regard de cette société qui a fait de la maternité un poids et meurent par centaines de milliers chaque année. C’est bien normal puisque les conditions ne sont pas réunies pour qu’elles en sortent vivantes. Produits toxiques et dangereux, cliniques malfamées ou praticiens incompétents. Les mieux loties sont celles qui ont accès à de vrais soins promulgués par des établissements plus huppés.
La maternité est une menace dans notre éducation sociale de base, elle devient une honte quand elle est extra-conjugale, elle se transforme en fardeau et en charge mentale pour celles qui veulent exercer des emplois salariés. « Il faut concilier la vie familiale et professionnelle » ….
En 2018, l’état ivoirien a permis que les femmes puissent accéder à l’interruption thérapeutique de grossesse. Doivent être alors justifiées deux conditions : le viol, et une menace qui pèserait sur la santé de la mère. Mais, parlons-nous du viol prouvé, dénoncé ou avéré ?
Soit! Le contrôle de la procréation des femmes ivoiriennes par elles est encore un chemin très long. La Côte d’Ivoire a l’une des lois les plus restrictives sur l’avortement – avec l’article 366 du Code pénal- en dépit du fait que le pays soit état partie au protocole de Maputo.
Combien donc de ces 3000 filles dont il est question plus haut tenteront un pari avec leurs vies ? Combien le gagneront ? Combien en garderont des séquelles indélébiles ? Combien en sortiront traumatisées ? Combien en referont l’expérience dans quelques années encore ? Pénaliser ce que les personnes considèrent comme leurs droits intrinsèques est le meilleur moyen pour ces personnes de trouver des chemins détournés. Seule une femme doit avoir SA raison de porter un enfant ou de ne pas le faire. Ce doit être une décision qui lui incombe à elle seulement. Les chiffres démontrent -malheureusement- que les femmes ivoiriennes décident, au péril de leurs vies et de leurs santés. Car, plus que des chiffres qui s’égrènent, ce sont des vies qui se gangrènent. Des vies que l’on nie pour dit-on sauver la vie.
Il faut que nos états arrêtent de cocher des cases au plan international. Il faut que nos dirigeants et dirigeantes prennent la pleine responsabilité de nos réalités. Nos droits ne sont pas des cases à cocher. Les 30 ans du protocole de Maputo doivent être le point de départ d’un plus grand engagement des femmes activistes dans le plaidoyer, le lobbying et en tant que groupe de pression, afin que soit reconnue le droit de décider des femmes en Afrique.