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(c) Picture AP Photo/S.Alamba; DW

Je ne sais pas ce que je fais dans cette maison avec toutes ces femmes qui m’auscultent, me surveillent, m’apprêtent depuis des jours. Parmi elles ma mère, je la sens heureuse, heureuse pour moi, dit-elle. Heureuse de me voir honorée, pas comme cette Maimouna ma cousine qui court les hommes. Moi aussi j’ai envie de partager sa joie, de la ressentir, mais je n’y arrive pas.

Il y a encore un mois je n’étais encore qu’une enfant, sautillant insouciante dans les ruelles de mon quartier. Mon seul souci était de terminer les devoirs de maison et de papoter avec ma meilleure amie sur le chemin du lycée. J’aimais ça l’école, j’ai été fascinée par ma maitresse du préscolaire, tellement intelligente que je voulais lui ressembler. Pour cela j’ai travaillé dur et je suis arrivée au collège avec de très bons résultats. Je pensais que tout allait continuer ainsi, mais un jour j’ai découvert ce sang dans mon lit, effrayée, j’ai crié. Maman est venue et m’a dit calmement maintenant tu es une femme. Une femme ? Mais j’étais quoi avant ? A partir de ce jour tout est allé trop vite. J’ai vu des personnes se succéder à la maison, on m’a dit avec fierté ils viennent pour toi. Puis papa et Oncle m’ont fait assoir pour me parler, maman se tenait un peu plus loin, je sentais un peu de crainte dans son regard fuyant. Il y avait de la cola et de l’argent, beaucoup d’argent. “C’est ta dot” m’ont-ils dit. Depuis ta naissance tu as été promise à ton cousin en France, maintenant que tu es une femme il viendra te prendre pour épouse.

Maintenant j’étais une femme! Cette phrase énigmatique prenait son sens, et ce mot résonnait lourd et révoltant. Non je ne suis pas une femme! Je suis Salimata et je ne veux pas être l’épouse de mon cousin en France et je ne veux pas de votre dot. J’ai voulu le crier fort et m’enfuir, mais je suis restée pétrifiée apeurée, seule, meurtrie, trahie… je venais d’être mariée. Personne ne s’opposait jamais ni à Baba ni à Oncle. Et ce n’est pas moi à 14 ans qui allait le faire. D’ailleurs mon père était aux anges, mes sœurs ne lui ont pas rapporté aussi gros disait-il à qui peut l’entendre. Il comptait prendre sa troisième épouse grâce à cet argent. J’ai essayé de dire à maman ce que je ressentais, elle a d’abord commencé à me battre en disant que je voulais son déshonneur, puis s’est mise à pleurer et à me supplier. Pense à moi, à tes frères et sœurs. Que dira ma coépouse ? Ma belle-famille ? Ton papa n’acceptera jamais de nous garder ici, on finira dans la rue. Elle aussi était une femme, aussi condamnée et malheureuse que moi. Je n’ai pas pu la detester, elle m’inspirait plus de la pitié qu’autre chose. Sur elle aussi un jour le piège s’était refermé.

Voilà comment une semaine plus tard, le henné est apparu sur les mains et mes pieds comme sil matérialisait les lignes de ma vie et de mon destin tout tracé. Je ne voyais plus mes amis de classe. Ceux et celles qui se hasardaient à me chercher subissaient les injures de mes tantes. Quelque part dans ma tête je pensais à mon institutrice, à mes rêves à ma vie, celle qu’on m’avait prise. Je devais rester chez ma belle-famille, le temps que les procédures administratives pour mon voyage prennent fin. Et comme j’étais très jeune, cela risquait de prendre au moins deux années. C’est ce qu’avait dit Oncle, selon lui les « les blancs ne comprennent rien à nos traditions et vont essayer de gâter le mariage s’ils savaient ».

Dans la chambre de préparation du mariage on m’a dit :

– « Tu vas finir par l’aimer ton époux et si tu ne l’aimes pas tant pis mais reste soumise et docile ».

– « Ne dis jamais plus qu’il ne t’en demande ».

– « Accepte tout et même les coups, car s’il t’en donne c’est que tu n’aurais pas fait été une épouse correcte ».

« Rends fière ta famille en lui faisant des enfants beaux et forts ».

Oui, à peine entrée dans l’adolescence, je devais penser à être mère. Une boule me serrait la gorge ce matin de décembre. La moiteur de mes mains n’était pas due à l’humidité du climat. Mais à cette nuit de noces qui approchait. J’étouffais sous ces apparats, ce maquillage, ce voile.

Puis d’un coup j’entendis au loin la griotte entamer un chant, et la foule qui s’extasiait avec elle.

« Ton mari est arrivé, c’est le moment de partir », m’a dit ma cousine…

En Afrique de l’Ouest, deux filles sur cinq sont mariées avant
18 ans, et environ une adolescente (10-19 ans) sur cinq a déjà donné
naissance
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Au rythme de réduction actuel, l’Afrique de l’Ouest et du Centre mettra plus de 100 ans pour mettre fin au mariage des enfants. Cette région compte six des 10 pays où la prévalence du mariage des enfants est la plus élevée au monde.

Ce texte est dédié à toutes ce petites filles, à qui l’on arrache leurs vies… au nom du fait qu’elles soient des femmes.
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Tags : femmefillesmariage forcémariage précocetraditions
Carelle Laetitia

The author Carelle Laetitia

Diplômée de Droit Public International, Carelle Laetitia Goli est une jeune femme ivoirienne qui croit fortement en l’idéal d’un monde de justice et de libertés